La vie ne nous fait pas de cadeau.
C’est souvent ce que l’on se dit, quand arrive le moment de l’épreuve.
Il y a quelques années, ma vie a basculé. J’étais à la tête d’une entreprise florissante, mais en l’espace de quelques mois, tout s’est effondré. Ce n’était pas seulement un échec professionnel : c’était un bouleversement total. Ce que je croyais solide et certain s’est volatilisé, et je me suis retrouvé face à l’inconnu.
Cette période m’a forcé à m’arrêter et à réfléchir. Pour la première fois, j’ai pris conscience d’une vérité fondamentale : l’incertitude n’est pas une exception dans nos vies. Elle en est la règle.
En tant que philosophe, je m’étais souvent interrogé sur la nature du changement, du contrôle, et de l’imprévisible. Mais ce n’est qu’en traversant moi-même cette tempête que j’ai réellement compris une chose : l’incertitude, loin d’être une ennemie, peut devenir une alliée. Elle est la condition même de notre liberté, de notre capacité à créer, à nous réinventer.
Aujourd’hui, j’aimerais partager cette réflexion avec vous. Non pas depuis une position abstraite, mais à partir d’un vécu, enrichi par des idées philosophiques, des découvertes neuroscientifiques, et des outils concrets.
L’incertitude, moteur de liberté et de création
Imaginez un monde où tout est parfaitement prévisible, où chaque cause mène inévitablement au même effet. Dans un tel univers, il n’y aurait aucune place pour la création. C’est la tension entre ce que nous savons et ce que nous ignorons qui rend possible l’innovation, l’art, et même la vie elle-même.
Prenez l’exemple d’un artiste face à une toile blanche. Il ne sait pas à l’avance ce qui va émerger. Chaque coup de pinceau est une réponse à l’incertitude, une exploration de l’inconnu. C’est précisément cette liberté d’improviser, de faire des erreurs, qui donne naissance à des œuvres vibrantes et uniques.
Nietzsche disait que "Il faut avoir du chaos en soi pour donner naissance à une étoile qui danse." L’incertitude, loin d’être un ennemi, est le terrain fertile où la liberté et la créativité prennent racine. C’est dans l’incertitude que nous trouvons l’espace pour choisir, inventer, et réinventer notre chemin.
Mais cette liberté n’est pas limitée aux artistes. Elle est présente dans nos vies quotidiennes. Lorsque nous faisons face à une décision importante, à un tournant imprévu, c’est cette même incertitude qui nous pousse à explorer de nouvelles possibilités. Elle est le moteur de tout changement.
Notre cerveau est conçu pour gérer l’incertitude
Ce qui est fascinant, c’est que notre cerveau sait déjà comment naviguer dans l’incertitude. Des neuroscientifiques, comme Karl Friston, ont montré que le cerveau fonctionne comme une « machine à prédire »[1]. Le cerveau prédit constamment ce qui devrait arriver, et quand la réalité diffère de ses attentes, il ajuste ses modèles internes pour mieux comprendre le monde. C’est un processus dynamique, précis, et incroyablement efficace.
Quand vous marchez dans une rue familière, votre cerveau s’attend à voir des bâtiments ou entendre des bruits de circulation. Mais si un son soudain ou un mouvement inattendu apparaît, il ajuste immédiatement ses attentes.
Cette capacité à prédire et à s’adapter est l’une des plus grandes forces de notre cerveau. Ce qui explique que celui-ci est naturellement à l’aise dans un contexte d’incertitude.
Mais alors, pourquoi l’incertitude nous paralyse-t-elle parfois ? La réponse réside dans deux parties spécifiques de notre cerveau :
Tout d’abord l’amygdale. L’amygdale est un détecteur de danger qui réagit à l’inconnu comme à une menace. Et quand elle perçoit l’incertitude comme une menace, elle déclenche une réaction de peur ou de stress. C’est une réponse ancienne, héritée de nos ancêtres, qui vivaient dans des environnements où l’inconnu signifiait souvent un danger mortel.
Ensuite, le cortex préfrontal. Cette partie du cerveau associée à la planification et au raisonnement amplifie parfois le problème. Son désir de tout contrôler, de tout prévoir, entre en conflit avec le caractère imprévisible de la vie. Nous nous accrochons à l’illusion que tout peut être maîtrisé, ce qui nous pousse à résister à l’incertitude plutôt qu’à l’explorer.
Alors, que faire ? Comment collaborer avec notre cerveau pour revenir à un fonctionnement plus naturel, plus équilibré ?
-Tout d’abord, il faut rassurer notre amygdale. Elle s’emballe souvent parce qu’elle croit que l’incertitude est synonyme de danger. Des moyens simples comme la respiration consciente, la méditation, ou même des pauses intentionnelles dans nos journées, peuvent calmer cette alarme. Ces pratiques disent à notre cerveau : "C’est bon, tout va bien, tu peux te détendre."
-Ensuite, il faut redonner de la flexibilité à notre cortex préfrontal. Cela passe par l’acceptation : reconnaître que nous ne pouvons pas tout contrôler, et que ce n’est pas grave. Cela ouvre la porte à une nouvelle forme de liberté : la liberté de choisir comment répondre, au lieu de réagir dans la peur.
Alors, la prochaine fois que vous faites face à l’incertitude, souvenez-vous de ceci : votre cerveau sait déjà comment naviguer. Mais pour qu’il fonctionne pleinement, vous devez travailler avec lui, pas contre lui.
Et c’est là que se trouve, je pense, une leçon fondamentale : l’incertitude n’est pas le problème. Le vrai problème, c’est la manière dont nous y réagissons.
Construire une certitude intérieure
Face à l’incertitude, il ne s’agit pas de tout abandonner, mais de trouver des repères solides en nous-mêmes. Imaginez un capitaine de navire pris dans une tempête. Il ne peut pas contrôler les vagues ni le vent, mais il s’appuie sur ses instruments – sa boussole, ses cartes maritimes, son gouvernail – pour maintenir son cap.
Dans nos vies, ces instruments prennent la forme de nos valeurs fondamentales : ce qui compte le plus pour nous. Ces valeurs, comme l’amour, le courage, la persévérance ou l’authenticité, sont nos boussoles intérieures. Elles nous permettent de naviguer dans l’inconnu sans nous perdre.
Construire cette certitude intérieure nécessite une forme d’introspection sincère. Quelles sont nos valeurs pivot, ces repères profonds qui guident nos choix, même dans l’incertitude ? Une fois identifiées, ces valeurs deviennent des points d’ancrage, nous aidant à avancer même lorsque tout semble flou.
Mais ces repères ne suffisent pas. Il faut également, comme nous y enjoignent les philosophes stoïciens, savoir accepter ce qui nous arrive. Et plus encore que l’accepter, il faut aimer ces évènements de notre vie, non seulement quand ils sont favorables, mais également et surtout quand ils ne le sont pas. C’est ce que Nietzsche appelait « amor fati » - l’amour de ce qui arrive - dans son livre « Le crépuscule des idoles ».
Mais sommes-nous prêts à accueillir la vie de cette manière, en aimant absolument tout ce qu’elle nous propose ?
De la réponse à cette question dépend pourtant notre rapport apaisé avec l’incertitude.
Et si l’incertitude devenait une alliée ?
En conclusion, l’incertitude, loin d’être un mur infranchissable, est une porte ouverte sur des possibilités infinies. Chaque imprévu est une chance de grandir, chaque défi une opportunité de créer.
Alors, la prochaine fois que vous serez face à l’inconnu, posez-vous cette question importante : et si cette incertitude était une chance ? Une chance de voir les choses autrement, de vous réinventer, de créer quelque chose de nouveau.
Parce qu’au fond, ce n’est pas l’incertitude qui nous limite, mais la peur qu’elle génère en nous. Mais si nous apprenons à l’accepter, voire à l’aimer, alors l’incertitude peut devenir notre meilleure alliée.
L’incertitude n’est pas la fin du chemin, mais le début d’un voyage.
Un voyage sur une terre fertile où germent la liberté et l’innovation…
[1] Friston, K. J. (2010). The free-energy principle: A unified brain theory? Nature Reviews Neuroscience, 11(2), 127–138. https://doi.org/10.1038/nrn2787
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